Quand le bon contrat n’est pas… le bon contrat
Retour d’expérience sur l’accompagnement d’un client dans l’ajustement d’une couverture pour activité sensible
Dans le domaine de l’ingénierie et de la construction, la responsabilité civile professionnelle ne se résume pas à « avoir une assurance ».
Elle doit coller finement à la réalité des missions exercées, surtout lorsque celles-ci touchent à la sécurité des personnes sur un chantier.
Cet article retrace l’accompagnement d’un client – une petite structure d’ingénierie du bâtiment – pour qui un contrat complémentaire, pourtant pensé comme une protection supplémentaire, s’est révélé inadapté à une deuxième activité sensible : la coordination en matière de sécurité et de protection de la santé sur les chantiers (CSPS).
L’enjeu : sécuriser à la fois la protection du client et la conformité de la couverture, dans un contexte d’évolution de produit imposée par l’assureur.
1. Un montage initial cohérent… mais sans véritable analyse de risque
Au départ, notre mission est classique :
protéger une société d’ingénierie qui exerce :
une activité principale de bureau d’études techniques (calculs de structure, études, missions d’ingénierie),
et une activité complémentaire plus sensible, directement liée aux chantiers : la coordination en matière de sécurité et de protection de la santé.
Concrètement, le client nous sollicite sur la base d’un devis transmis par un intermédiaire.
Le contrat complémentaire qui sera ensuite contesté par l’assureur n’est pas le résultat :
d’une analyse de risques structurée en amont,
ni d’une véritable cartographie des activités et des responsabilités,
mais bien de la souscription d’une offre packagée présentée comme adaptée.
Pour répondre aux besoins tels qu’ils nous ont été présentés, nous mettons en place un montage en trois volets :
un contrat principal de responsabilité civile professionnelle et décennale, adapté à l’activité d’ingénierie du bâtiment ;
un contrat de protection juridique professionnelle ;
un contrat complémentaire auprès d’un assureur spécialisé, présenté comme couvrant l’activité de conseil en prévention, qualité, santé, sécurité, environnement – et censé englober la coordination sécurité sur les chantiers.
Le client accepte l’ensemble, signe l’offre, et dispose – en apparence – d’une architecture de garanties cohérente et lisible.
Mais l’absence d’une véritable analyse de risque initiale, documentée et discutée, va apparaître plus tard, lorsque l’assureur requalifiera le produit.
2. Construire dès le départ un dossier autonome, intelligent et collaboratif
Dès le début de la relation, nous faisons un choix clé :
constituer un dossier Assurances autonome, intelligent, collaboratif et participatif, qui ne se limite pas à un simple devis signé.
Concrètement, cela signifie :
centraliser les informations juridiques, techniques et financières (statuts, description d’activité, chiffres d’affaires par type de mission, périmètre des interventions, etc.) ;
conserver les échanges écrits avec les intermédiaires et les assureurs ;
impliquer le client dans la relecture et la validation des descriptions d’activité ;
documenter nos analyses, questions et arbitrages au fur et à mesure.
Ce travail, souvent invisible au quotidien, a une conséquence déterminante pour la suite :
quand l’assureur revient plus tard en expliquant que le produit n’est pas adapté à la deuxième activité sensible,
nous disposons d’un dossier complet, structuré et partageable,
qui permet de reprendre le fil des décisions, de comprendre où le produit a dérapé…
et de sécuriser la suite.
Autrement dit, même si le produit choisi initialement s’avère inadapté, le dossier lui, est solide, et c’est cela qui va nous permettre de gérer la correction dans de bonnes conditions.
3. Quand l’assureur requalifie le risque : un produit finalement inadapté
C’est dans un second temps que la situation se tend.
L’intermédiaire grossiste, en lien avec l’assureur du contrat complémentaire, revient vers nous avec un message clair :
le produit choisi initialement pour la partie « conseil / prévention »
n’est en réalité pas considéré comme adapté au domaine de la construction,
et donc pas pleinement cohérent avec l’activité sensible exercée sur les chantiers.
En d’autres termes, le contrat complémentaire souscrit :
repose sur un produit calibré pour des métiers du conseil en entreprise,
exclut de fait, dans sa logique de souscription, certaines activités proches de l’ingénierie ou du suivi de travaux,
et se trouve en décalage avec la réalité de la deuxième activité sensible du client, qui intervient au cœur des chantiers.
L’assureur propose alors une évolution de produit :
basculement vers un contrat spécialisé pour l’activité de coordination SPS / prévention chantier,
adaptation du libellé d’activité pour coller à la réalité du terrain,
mais aussi hausse significative de la prime, sans changement du chiffre d’affaires déclaré.
Ce qui était au départ un « plus » rassurant devient, pour le client, une source de questionnement :
Pourquoi un tel écart tarifaire ?
Le contrat initial était-il vraiment inadapté ?
Est-il possible de rester sur l’ancienne formule pendant un temps ?
4. Notre rôle : sécuriser, questionner, documenter
Face à cette évolution imposée, nous ne nous contentons pas de transmettre l’information.
Notre rôle consiste à mettre tout le monde autour de la table, même à distance, et à clarifier :
Ce que dit l’assureur
Confirmation écrite que le produit initial n’était pas positionné pour le domaine de la construction.
Reconnaissance du besoin d’un contrat plus technique pour la deuxième activité sensible.
Ce que propose l’assureur
Un nouveau contrat avec une activité explicitement orientée « coordination / sécurité de chantier ».
La possibilité de rendre le premier contrat sans effet si le second est souscrit, afin d’éviter de laisser croire à une couverture inadaptée.
Ce que cela implique pour le client
Un saut de prime non négligeable, justifié par le niveau de risque réel et les références de marché sur ce type d’activité sensible.
Une clarification bienvenue : la nouvelle proposition valide noir sur blanc l’activité effectivement exercée, ce qui a une grande valeur en cas de sinistre ou de contrôle.
Parce que nous avons dès le départ un dossier complet, structuré et partagé, nous pouvons :
démontrer que l’activité sensible était connue et décrite,
montrer que la logique du montage initial vient avant tout du produit proposé par l’intermédiaire,
et replacer la discussion dans un cadre rationnel, argumenté.
Nous formalisons ces éléments par écrit, interrogeons l’intermédiaire sur le délai dont le client dispose pour se prononcer, et documentons les échanges.
Ce travail de traçabilité permet :
de montrer que l’erreur de produit ne vient pas d’une mauvaise foi du client,
de démontrer que la révision découle d’une relecture interne de l’assureur,
et de replacer la discussion sur un terrain constructif : comment sécuriser au mieux et au meilleur coût l’activité réelle.
5. Accompagner le client dans un moment inconfortable
Du point de vue du client, la situation peut être vécue comme une mauvaise surprise :
il pensait être bien assuré,
il découvre que le produit complémentaire n’était pas parfaitement aligné avec son activité sensible,
et on lui propose désormais une cotisation près de trois fois plus élevée pour la même base de chiffre d’affaires.
Notre rôle, ici, est multiple :
5.1. Expliquer sans dramatiser
Nous prenons le temps de :
rappeler le contexte : au départ, l’intention était de bien faire, en ajoutant un contrat complémentaire,
expliquer que l’assureur, en requalifiant le risque, ne « retire pas » une garantie acquise mais corrige un positionnement produit qui n’était pas optimal,
montrer que la nouvelle offre, plus chère, est en phase avec ce qui se pratique sur le marché pour ce type d’activité sensible.
5.2. Gérer les contraintes budgétaires et le timing
Le client interroge la possibilité de :
conserver l’ancien contrat jusqu’à la fin de l’année,
puis de basculer sur un nouveau produit à une échéance ultérieure.
Nous :
relayons ces questions auprès de l’intermédiaire,
multiplions les relances pour obtenir des réponses claires,
et, en attendant, proposons une stratégie de transition (par exemple : observer si une cotisation est appelée pour l’année suivante, vérifier les marges de manœuvre, arbitrer en fonction du calendrier et de la tolérance au risque).
5.3. Valoriser la validation de l’activité
Lorsque la nouvelle proposition arrive, avec un libellé d’activité ajusté et un accord de l’assureur pour considérer l’ancien contrat comme « sans effet » si le nouveau est signé, nous insistons sur un point clé :
le fait que l’activité réelle du client
est désormais pleinement décrite, documentée dans le dossier et acceptée par l’assureur,
ce qui constitue une véritable sécurisation juridique et technique.
6. Ce que cette situation révèle de notre accompagnement "client"
Au-delà du cas particulier, cette expérience illustre plusieurs dimensions essentielles de notre métier :
Construire, puis reconstruire si nécessaire
Un montage peut être cohérent à un instant T, sur la base d’un devis et des informations disponibles.
Si l’assureur revoit sa grille de lecture et estime qu’un produit n’est pas adapté, nous devons être capables de recomposer le dispositif, plutôt que de nous abriter derrière l’existant.
Ne pas se contenter d’une souscription “au devis”
L’absence d’analyse de risque formalisée en amont est toujours un point de fragilité.
En constituant un dossier autonome, intelligent, collaboratif, nous pouvons rattraper cette fragilité et sécuriser la suite.
Être l’interface critique entre le client et l’assureur
Nous ne nous contentons pas de transmettre une hausse de prime.
Nous questionnons, documentons, argumentons, pour que le client comprenne le « pourquoi » et le « comment » de l’évolution.
Protéger le client… parfois contre un faux sentiment de sécurité
Un contrat inadapté peut donner l’illusion d’être couvert, tout en laissant des zones grises majeures.
Accepter une correction de produit, même plus chère, peut être la meilleure façon de réduire le risque de découverte de garantie en cas de sinistre.
Faire de la transparence un levier de confiance
En partageant les échanges avec l’intermédiaire, en assumant les zones d’incertitude (délais de réponse, arbitrages à faire), nous renforçons la relation de confiance avec le client.
Celui-ci voit concrètement le travail effectué en coulisses pour défendre ses intérêts.
Conclusion : gérer l’évolution plutôt que subir le contrat
Dans cette affaire, le point de départ était un contrat complémentaire pensé comme une sécurité supplémentaire, mais souscrit à partir d’un devis, sans analyse de risque approfondie.
La relecture de l’assureur a mis en lumière que le produit choisi ne collait pas vraiment à une deuxième activité sensible, au cœur des chantiers.
L’enjeu n’était pas seulement d’accepter une nouvelle prime, mais de gérer une évolution de produit :
en garantissant que l’activité réelle du client soit reconnue, documentée et couverte,
en négociant la sortie propre du contrat initial,
et en accompagnant le client, pas à pas, dans ses choix.
C’est précisément sur ce type de situation, à la frontière entre technique, juridique et économique, que notre rôle prend toute sa valeur :
non pas vendre un contrat, mais orchestrer une protection adaptée, évolutive, appuyée sur un dossier Assurances fiabilisé dès le départ, et assumée par l’assureur comme par l’assuré.