Architecte d’intérieur, doit-je souscrire une assurance décennale ?
Une question à analyser, pas à trancher définitivement
Dans de nombreuses discussions professionnelles, l’assurance décennale est présentée comme une évidence pour l’architecte d’intérieur. L’idée circule depuis longtemps : « dès que l’on conçoit ou accompagne des travaux, on doit une décennale ».
Pourtant, la réalité est plus complexe. L’architecture d’intérieur est une activité non réglementée, extrêmement variée dans ses formes d’exercice.
Entre le décorateur qui conseille sur les ambiances et le professionnel qui pilote un chantier impliquant des interventions sur structure, le périmètre d’intervention et les responsabilités n’ont rien de comparable.
La véritable question n’est donc pas « la décennale est-elle obligatoire ? » mais plutôt :
« dans quelles conditions l’architecte d’intérieur est-il susceptible d’engager une responsabilité décennale ? »
1. Pourquoi la décennale revient si souvent dans les discussions ?
Le droit prévoit une responsabilité décennale pour tout intervenant qui participe à la réalisation d’un ouvrage et dont l’action pourrait affecter :
sa solidité,
ou son usage.
Ainsi, quand un architecte d’intérieur :
conçoit un projet,
coordonne des entreprises,
suit des travaux voire les organise,
il peut effectivement entrer dans le champ de cette responsabilité.
C’est ce lien direct entre “participation à l’ouvrage” et responsabilité qui explique que l’assurance décennale soit souvent évoquée dans la profession.
Mais ce raisonnement général mérite d’être adapté au cas par cas.
2. Une profession plurielle : un même métier, des réalités très différentes
Sous l’appellation d’architecte d’intérieur, on retrouve en réalité plusieurs types d’activités :
● Le profil purement décoratif
Conseils sur les styles, les matières, la lumière, le mobilier.
Les interventions ne touchent ni à la structure, ni à l’organisation profonde du bâtiment.
● Le profil conception d’espace
Redistribution des volumes, ergonomie, circulation, ambiance globale.
Les travaux restent essentiellement non structurels, même s’ils modifient l’usage.
● Le profil maîtrise d’œuvre intérieure
Accompagnement complet du projet : conception, planification, coordination du chantier, échanges avec les entreprises, suivi d’exécution.
Ici, certains travaux peuvent concerner la structure ou les éléments techniques.
Cette diversité montre que la nécessité d’une décennale dépend surtout du périmètre réel d’intervention, et non du seul titre professionnel.
3. Le rôle du bureau d’études : important, mais complémentaire
Il est courant de penser que faire appel à un bureau d’études pour les parties structurelles suffirait à écarter la responsabilité décennale de l’architecte d’intérieur.
En pratique :
le bureau d’études prend en charge les calculs et préconisations techniques,
mais l’architecte d’intérieur reste responsable de la cohérence du projet,
de la logique générale de transformation,
des choix ayant conduit à certaines interventions,
et de son rôle dans l’organisation du chantier.
Autrement dit, le bureau d’études ne remplace pas l’intervention de l’architecte : il l’accompagne.
La question de la décennale doit donc tenir compte de ce partage naturel des rôles.
4. Les contrats d’assurance : comprendre le périmètre garanti
Les contrats professionnels précisent toujours le périmètre d’activité garantie.
On y trouve en général :
une description des missions couvertes (conception, conseil, direction, contrôle…),
des indications sur les interventions possibles,
des conditions associées : recours à un expert extérieur, limites techniques, coûts de travaux, etc.
Ces précisions visent à aligner la couverture sur l’activité réellement exercée, afin de protéger au mieux le professionnel dans le cadre qu’il a déclaré.
L’enjeu pour l’architecte d’intérieur est donc de vérifier que :
la description du contrat correspond à ce qu’il fait au quotidien,
ses projets entrent bien dans le périmètre prévu,
les conditions associées à la garantie sont compatibles avec sa manière d’exercer.
Il n’y a rien d’automatique : c’est un travail d’analyse.
**5. Alors, faut-il une décennale ?
Une question qui appelle une grille d’analyse, pas un “oui ou non”**
La bonne démarche consiste à se poser plusieurs questions :
1️⃣ Les missions comportent-elles des travaux pouvant affecter la solidité ou l’usage du bâtiment ?
Si oui, la décennale doit être étudiée attentivement.
2️⃣ Le professionnel est-il identifié comme acteur du projet au-delà du simple conseil esthétique ?
Signature sur des plans, coordination, réunions de chantier…
3️⃣ La nature des projets dépasse-t-elle le simple cadre décoratif ?
Redistribution importante, ouverture d’espace, intégration technique, etc.
La réponse n’est jamais figée. Un architecte d’intérieur peut évoluer : au début plutôt décoratif, puis de plus en plus impliqué dans des projets lourds.
La pertinence de la décennale évolue donc avec l’activité elle-même.
6. L’importance d’un dossier d’analyse autonome
Un point essentiel :
l’évaluation de la nécessité d’une décennale ne doit pas dépendre uniquement du contenu d’un contrat d’assurance.
Il est utile de disposer d’un dossier indépendant, qui regroupe :
les missions types réellement exercées,
des exemples de projets récents,
le rôle précis joué sur chacun,
les interventions techniques réalisées ou supervisées,
les évolutions possibles de l’activité.
Ce dossier permet :
de clarifier ses besoins,
de comprendre ses responsabilités,
d’évaluer régulièrement l’adéquation entre l’activité et la couverture assurantielle,
de revenir sur la question à tout moment, sans repartir de zéro.
L’assurance devient alors un outil de stratégie : elle conditionne la capacité à accepter des projets plus techniques et structure donc, très directement, le développement de l’activité.
Conclusion : une réflexion qui doit accompagner le développement de l’activité
Plutôt que de chercher une réponse définitive, il est plus juste de considérer que :
la nécessité d’une assurance décennale dépend de l’évolution de l’activité, du rôle joué dans les projets et de la nature des travaux entrepris.
Ce sujet mérite d’être réexaminé régulièrement, à partir d’un dossier personnel clair et autonome.
C’est cette démarche, plus que tout automatisme, qui sécurise l’architecte d’intérieur et lui permet de développer son activité en pleine maîtrise de ses responsabilités.